Les menstruations, l’un des phénomènes les plus naturels, restent néanmoins entachées de connotations négatives. En Tunisie, comme ailleurs à travers le globe, ces périodes sont perçues comme des signes d’impureté, une croyance partagée tant par les hommes que par les femmes.
Le sujet des menstruations à travers le monde
Les pratiques liées aux règles des femmes varient grandement entre les différents pays, mais ont en commun : le mépris envers les menstruations féminines.
Au Gabon, par exemple, les femmes sont découragées de toucher à la nourriture pendant leurs menstruations. Elles évitent de pêcher de peur de repousser les poissons, s’abstiennent d’escalader les arbres, craignant que cela n’affecte la production de fruits.
De plus, des préjugés similaires subsistent au Japon. Là-bas, les femmes sont exclues du métier de cheffe sushi. Une croyance infondée stipule que les menstruations perturbent leurs papilles gustatives et que leur température corporelle élevée compromet la préparation des sushis.
En Iran, près de la moitié des femmes considèrent encore les règles comme une maladie.
En Bolivie, les femmes ont intégré une croyance absurde : elles ne jettent pas leurs protections menstruelles dans les poubelles publiques de peur de propager le cancer.
Au Népal, dans certaines communautés, persiste la pratique rétrograde du “Chhaupadi”. Les femmes en période menstruelle sont exclues et contraintes de vivre à l’extérieur de chez elles, parfois dans des abris insalubres, jusqu’à la fin de leurs règles.
Qu’en est-il dans notre pays ? Si heureusement pour nous, nous n’avons pas d’histoires aussi délirantes que celles qui viennent d’être citées, le sujet des menstruations reste profondément tabou.
Avoir ses règles en Tunisie ?
En Tunisie, le sujet des menstruations demeure rarement abordé ouvertement au sein des familles, et encore moins avec les garçons. Avec un peu de chance, les jeunes filles peuvent découvrir ce phénomène à travers leurs sœurs aînées ou leurs cousines.
Cependant, les premières menstruations restent souvent enveloppées de mystère, donnant naissance à une profonde sensation de honte. La perspective d’une tache de sang inattendue au milieu d’une journée d’école peut engendrer des traumatismes et une résistance envers ce processus naturel, une résistance qui semble persister de génération en génération. Même après l’apparition des premières règles, certaines adolescentes peinent toujours à comprendre la véritable nature des menstruations, et surtout à appréhender les symptômes ainsi qu’à connaître les moyens d’y remédier, créant ainsi une continuité d’incompréhension.
Qu’en est-il des pères, frères et amis ?
Aborder le thème des règles en présence de leur père, notamment à table, est vivement déconseillé, soulignant une pudeur sociale.
Même au sein des cercles jugés éduqués, les menstruations demeurent fréquemment un sujet qui suscite du dégoût chez les hommes, perpétuant ainsi des stéréotypes tenaces.
Le sujet de la Précarité menstruelle en Tunisie, un sujet insuffisamment pris au sérieux :
D’après le Fonds des Nations Unies pour la Population (FNUAP), la précarité menstruelle se réfère aux « difficultés que rencontrent de nombreuses femmes et filles pour s’offrir des protections hygiéniques en raison de leurs faibles revenus ».
Malgré l’évidence que l’accès aux serviettes hygiéniques devrait être un droit incontestable pour toutes les femmes, quel que soit leur âge, la réalité contraste vivement. Dans un pays où le salaire minimum est d’environ 400 DT, fournir à sa fille des produits menstruels ou des analgésiques ne semble pas une priorité absolue.
Bien que des recherches sociologiques spécifiques sur la précarité menstruelle en Tunisie fassent défaut, des informations éclairantes émergent de l’expérience de l’association tunisienne Wallah We Can, notamment à travers son projet Ecolibree qui consiste à lutter en faveur de la justice menstruelle.
Au sein d’un collège de la région de Makthar, relevant du gouvernorat de Siliana, le constat est frappant : de nombreuses élèves ne participent pas aux cours pendant leurs règles, faute de produits d’hygiène appropriés.
Certaines sont même contraintes de rater des examens en raison de leurs menstruations, subissant ainsi des répercussions sur leur parcours scolaire. Pour une jeune fille, la survenue de ses règles devient un véritable cauchemar.
L’histoire ne s’arrête pas là. Au fil de leurs visites dans les dortoirs de l’internat de Makthar, l’association Wallah We Can a découvert une réalité encore plus préoccupante. Les matelas de certaines jeunes filles étaient employés à fabriquer des protections périodiques improvisées en utilisant la mousse du matelas.
Dans une vidéo présentant les témoignages de jeunes filles du collège de Makthar, les déclarations suivantes sont entendues :
“Si j’ai des serviettes, je peux aller à l’école. Sinon, je reste à la maison, je prends un morceau de tissu et je reste chez moi.”
“Lorsque les garçons me remarquent, cela les fait rire et ils commencent à me ridiculiser.”
“La première fois que j’ai eu mes règles, je ne savais pas quoi utiliser comme protection. J’ai pris un bout de tissu et je l’ai utilisé.”
“Quand je vais à l’école, j’appréhende que mes camarades de classe, surtout les garçons, se moquent de moi lorsque je suis au tableau.”
N’est-ce pas profondément regrettable ? De jeunes filles laissées à elles-mêmes, contraintes de faire face chaque mois à leurs menstruations.
Un exemple éloquent de solution est fourni par l’association Wallah We Can, qui a mis au point des serviettes hygiéniques lavables, offrant ainsi aux jeunes filles la possibilité de vivre leurs règles avec dignité.
Pourtant, le collège de Makthar n’est qu’un échantillon parmi tant d’autres, illustrant une réalité où de nombreuses fillettes dans le pays se retrouvent incapables de se procurer les produits d’hygiène nécessaires.
Lutter contre la précarité menstruelle est indéniablement, une nécessité impérieuse. Quand réaliserons-nous cela ? Lorsque des milliers de femmes auront été marquées par des traumatismes liés à leur propre corps ? Lorsque plusieurs d’entre elles auront été forcées d’abandonner leur éducation, leur avenir, sur les bancs de l’école ?
L’éducation sexuelle, une éducation incomprise :
Face aux tabous entourant les menstruations, il est évident qu’il existe un inquiétant manque de compréhension envers ce sujet.
C’est pourquoi l’éducation sexuelle apparaît comme la solution ultime pour combattre les préjugés enracinés dans notre société. Cependant, ces préjugés sont si profondément enracinés que dès que le terme “éducation sexuelle” est mentionné, certaines personnes vous tournent immédiatement le dos. Est-ce que l’éducation sexuelle est à tort reliée à l’apprentissage des relations intimes ? Il semblerait que oui.
Certains osent même affirmer qu’en Tunisie, le sujet des menstruations est abordé à l’école. En effet, les élèves tunisiens suivent un chapitre sur le cycle menstruel en 9ème année. Mais face à un tabou massif dans la société, vous pouvez facilement deviner comment se déroulent ces cours. Les rires et les moqueries ne se dissipent pas, accompagnés d’une honte difficile à dissimuler.
Certains acteurs de la société civile, spécialisés dans le domaine de l’éducation sexuelle, s’efforcent d’organiser des sessions de formation destinées aux jeunes élèves tunisiens, visant à leur enseigner les bases de l’éducation sexuelle. Malheureusement, ils se heurtent souvent au refus des directeurs d’établissements scolaires, qui redoutent que de telles initiatives nuisent à la réputation de leur école ou qu’elles engendrent des problèmes avec les instances ministérielles.
Cependant, ce qui est véritablement nécessaire, c’est la mise en place d’une approche pérenne, ancrée dans la durée, telle que l’intégration de l’éducation sur les menstruations au sein du cursus scolaire dès les premières années du collège.