Dès son indépendance, la Tunisie n’a été guère un Etat militaire mais un État purement policier notamment sous la houlette du régime déchu de Ben Ali. Après les évènements de 2011, on a tous voulu que ce système méprisant prenne fin, surtout avec la mobilisation militaire qui a veillé à la sécurisation de tout le pays. Toutefois, la situation s’est aggravée et continue jusqu’à nos jours à susciter les inquiétudes de la population.
L’État : le monopole de la violence légitime
Selon Max Weber, le sociologue et économiste allemand, l’État en tant que groupement politique doit être le monopole de la violence. Il, seul, doit avoir accès à la violence physique sur son territoire. Le fondement de cette approche “wébérienne” se base sur la légitimité. Cette violence légitime est le capital symbolique de tout État qui se considère digne et respectable. Ce dernier n’assurera la stabilité et la sécurité sur le plan social qu’avec de telles armes symboliques.
Du point de vue sociologique, l’État doit être ce monstre froid, imbattable et puissant. Mais ceci ne sera jamais une excuse valable pour tolérer tout type de corruption et de discrimination. Ainsi, la violence policière existe, indéniablement, dans le but de régner la discipline.
Cette violence légitime est toujours détournée de son sens et exploitée pour justifier tout abus d’usage de la force policière. De ce fait, elle ne doit en aucun cas se transformer en brutalité et inhumanité.
Un policier est-il un citoyen de premier degré ?
Désormais, la primauté de la loi est remise en cause et c’est pour la seule raison que la police jouit d’une impunité grandissante. En effet, parmi les préoccupations qui ne cessent de remuer le couteau dans la plaie, on évoque la violence policière excessive contre les manifestants ainsi que les arrestations arbitraires.
Alors que la constitution de 2022 garantit le droit de manifester et de s’exprimer librement dans son 42ème article, on assiste souvent à un recours à la violence à l’encontre des protestants. Un exemple parmi tant d’autres est la répression de la marche de protestation pacifique des habitants de Zarzis par la police, rappelant la brutalité du système déchu. Les demandes des familles des disparus suite à la tragédie du naufrage du bateau d’immigration irrégulière ont été confrontées par le gaz lacrymogène et les coups de matraque.
En outre, la violence policière dans les stades, le seul défouloir des jeunes, demeure un tracas majeur de notre époque. Avant d’accéder aux gradins, les supporters sont susceptibles de subir des agressions physiques ou morales de la part des unités présentes aux portes. Malgré les nombreuses atteintes aux Droits de l’Homme, la peur accable tout le monde qui se trouve, par conséquent, contraint à se réduire en silence.
Des jeunes passionnés par le sport et par leurs équipes préférées se trouvent agressés voire même tués comme c’était le cas de Omar Labidi. Cette maltraitance est à l’origine du fossé existant entre la police et les jeunes, comblés de sentiments d’injustice et d’hostilité. De ce fait, on assiste souvent à des échauffourées récurrentes entre les policiers et les supporters aux stades.
À contretemps, la société tunisienne est devenue marquée par une “nouvelle hiérarchie sociale” : des citoyens de deuxième degré et d‘autres de premier degré (agents de police) qui sont au-dessus de la loi voire même, hors la loi. Ces derniers comptent par-dessus tout, sur des syndicats policiers qui n’agissent qu’à leurs têtes, peu importe que cela soit légal ou illégal. De nos jours, ces syndicats déclinent déraisonnablement la sécurisation des rencontres sportives.
Que faire pour remédier à la relation citoyen-policier ?
Nul ne peut nier l’atrocité des pratiques du corps sécuritaire notamment ces dernières années. De surcroît, il est temps de prendre des mesures concrètes et sévères contre tout agent qui a violé la loi et fait l’innocent pour mettre fin aux poursuites contre lui. Certes, il faut considérer une réforme globale et immédiate du système policier en Tunisie.
En effet, il est devenu une nécessité absolue d’intégrer des tests psychologiques, dûment transparents, aux concours des agents de police. Ces tests ont pour objectif d’assurer la stabilité mentale ainsi que l’absence de troubles psychologiques chez les nouvelles recrues. Renforcer les compétences ainsi qu’organiser des formations aux Droits de l’Homme pourront, aussi, nous faire éviter ces affrontements police-citoyen.
La promulgation d’un code de déontologie et l’amendement du règlement intérieur de la police nationale sera indéniablement un saut qualitatif pour l’Etat tunisien. C’est en encadrant l’exercice de ce métier, en délimitant ses morales et en veillant à son respect, qu’on rétablit la confiance entre le peuple et le corps sécuritaire.
Finalement, il faut que chaque policier repense ses principales missions. Il est tenu de protéger les individus non pas de les contraindre, d’assurer la paix et non pas de promouvoir l’anarchie. Chaque policier est invité à reconsidérer l’efficacité de ses pratiques à l’égard des citoyens tout au long des années précédentes.
En contrepartie, l’Etat est contraint de prêter attention à la situation du corps sécuritaire. Les équipements et les institutions doivent faire l’objet d’une modernisation afin de créer un espace de travail sain et des conditions favorables pour les policiers, symbole de la souveraineté étatique.
Souvenez-vous …
Omar Labidi, Refka Cherni, Karim Sayari, Malek Sellimi, Wafa Sbei, Abderrazek Lachheb, Ons Dalhoumi, Ahlem Dalhoumi, Oussama Laater, Abdessalem Zayen…
Souvenez-vous de ces noms, ne les oubliez jamais. Ils ne sont qu’un écho de la brutalité exercée sur tout un peuple, c’est pour cette raison qu’ils sont tant symboliques et leurs affaires demeurent une préoccupation nationale.
Si un peuple se sent en danger, en insécurité constante ou la peur l’envahit, il demeure rancunier. Surtout quand la source de cette peur est son pays, son chez-lui et son foyer.
La colère haineuse des peuples peut faire échouer les régimes de grandes nations. L’injustice ne fait qu’accoucher une énorme rage populaire qui pourrait à tout moment céder à une crise entre civiles et policiers. Seules la justice, la liberté et la paix sont le fondement d’une digne patrie.