Dans un coin isolé de la cour de récréation, un petit enfant est assis, le regard vide, les petites mains serrées contre ses oreilles pour étouffer les chuchotements assourdissants et les rires moqueurs qui résonnent dans l’écho de leur monde fragile. Cette scène, plus qu’émouvante, reflète la réalité vécue par un nombre considérable d’élèves tunisiens victimes de harcèlement scolaire. L’omniprésence de ce phénomène dans nos établissements scolaires est devenue alarmante, c’est pourquoi il est impératif de le mettre en lumière plutôt que de le dissimuler derrière les murs de l’école.
Qu’est-ce que nous qualifions de harcèlement scolaire ?
Le harcèlement scolaire désigne une situation où une personne en position de pouvoir ou dotée d’un statut social supérieur cause intentionnellement des souffrances physiques ou morales répétées à une personne plus vulnérable. Ce comportement émane généralement d’une personne plus âgée, plus grande ou plus populaire, envers un élève qui se trouve être vulnérable et différent de l’intimidateur sur divers plans, tels que le statut social, la race, la condition physique, etc. Le harcèlement peut prendre plusieurs formes :
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- Harcèlement physique : cette forme inclut tout type de violence physique, qu’il s’agisse de coups de poing, de coups de pied, ou d’attouchements non consentis, dans le cas du harcèlement sexuel physique.
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- Harcèlement verbal : il s’agit d’insultes et de taquineries visant à se moquer de l’apparence physique, de la race, du statut social ou du handicap d’une personne.
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- Harcèlement relationnel/social : cela englobe la diffusion de rumeurs et la négligence à l’égard de la victime dans le cadre d’activités de groupe.
Il s’agit d’un sujet fortement débattu sur les réseaux sociaux étrangers, mettant en évidence l’impact de ce phénomène sur des millions d’élèves partout dans le monde. Cependant, en Tunisie, on n’en parle pas autant. Sommes-nous dépourvus de ce phénomène de harcèlement scolaire au sein de nos établissements ?
L’UNICEF (Fonds des Nations Unies pour l’enfance) a réalisé en 2020 une analyse de la situation des enfants en Tunisie. En lisant ce rapport, nous pouvons très bien comprendre que le harcèlement scolaire existe bel et bien au sein de nos écoles, collèges et lycées…
D’ailleurs, le rapport met en évidence que le harcèlement dépasse les relations entre élèves. L’intimidateur peut aussi être un enseignant, quelqu’un du cadre scolaire ou un parent. En effet, selon le rapport, “19 % des cas de violence rapportés au délégué à la protection de l’enfance en 2018 avaient été commis dans des institutions publiques, souvent par un personnel éducatif ou un travailleur social.”
D’année en année, ce comportement se répand dans les écoles tunisiennes de manière incontrôlée. “En milieu scolaire, 58,2 % des élèves tunisiens ont déclaré avoir été victimes de violence physique et 3,3 % avoir été victimes de violence sexuelle.” selon cette même analyse de la situation des enfants en Tunisie faite par l’UNICEF en 2020.
Ces chiffres mettent en lumière les souffrances quotidiennes endurées par de nombreux élèves qui fréquentent les écoles pour exercer leur droit à l’apprentissage, au divertissement et à l’établissement d’amitiés authentiques, mais qui se trouvent confrontés à des actes d’intimidation.
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Analyser l’énigme : quels sont les déclencheurs du harcèlement scolaire ?
Loin d’être un phénomène discret et confiné uniquement aux établissements d’enseignement, le harcèlement scolaire découle d’un ensemble complexe de problèmes interconnectés, comprenant, mais sans s’y limiter, la violence domestique et les dynamiques sociétales plus larges.
Le milieu familial :
Parmi les causes qui peuvent conduire un enfant à brutaliser son camarade de classe, on trouve l’influence de son milieu familial. Le fait de grandir dans un foyer où les violences domestiques sont fréquentes et où les parents sont émotionnellement indisponibles peut rendre un enfant plus susceptible d’intimider les autres.
“18% seulement des parents, selon l’étude sur les comportements et attitudes pratiques liés au développement de la petite enfance publiée par le Ministère de la Famille de la Femme, de l’Enfance et des Séniors en Tunisie considèrent qu’il est nécessaire d’accompagner l’enfant et l’appuyer dans les différentes activités auxquelles il s’adonne.”(3)
Stratégies scolaires inefficaces :
L’absence de politiques anti-intimidation claires, leur application incohérente, ou le recours à des méthodes disciplinaires inadaptées pour lutter contre l’intimidation peuvent engendrer un environnement propice à la persistance de ce comportement nuisible.
Facteurs culturels et sociétaux :
Lorsqu’un enfant grandit en étant exposé à la normalisation du racisme, du régionalisme, du body shaming (honte corporelle) et du capacitisme (discrimination fondée sur la capacité physique), il est susceptible d’adopter un comportement similaire envers son entourage. Ces formes de discrimination sont souvent véhiculées à travers les normes culturelles, l’influence des médias et les attitudes sociétales. Un exemple illustratif de cette problématique peut être observé dans les stéréotypes préjudiciables associés aux personnes en surpoids et leur représentation moqueuse dans les émissions télévisées, ainsi que dans la sous-représentation des personnes de couleur dans les médias tunisiens.
Quelles sont les conséquences du harcèlement scolaire sur ses victimes ?
Si certains pensent que les brimades ne sont qu’une phase passagère, ou qu’elles seront oubliées en grandissant, comme le dit le proverbe tunisien, la réalité est tout autre.
Les conséquences de tels incidents laissent une empreinte profonde dans la vie d’une personne, voire peuvent mener à des situations tragiques, contribuant ainsi à la dégradation de l’ensemble de la société.
En réalité, être victime de harcèlement scolaire accroît considérablement la vulnérabilité aux problèmes de santé mentale chez nos élèves. Des statistiques alarmantes mettent en évidence le grave danger que représente le harcèlement scolaire pour la santé mentale de nos étudiants, parmi de nombreux autres facteurs. Selon ces données, “34,6% (des élèves tunisiens) souffrent de dépression, 15,4% de symptômes de dépression et certains individus tentent de se suicider. De plus, 12,8% présentent des troubles graves, notamment de l’incontinence urinaire, des comportements agressifs, des insomnies, une baisse des performances scolaires, des attitudes de retrait et 10,3% souffrent d’anxiété” (4) . Le ministère de la Famille, de la Femme, de l’Enfance et des Personnes âgées indique que la moitié de ces cas de troubles mentaux sont directement liés aux difficultés rencontrées au milieu scolaire.(5)
Par conséquent, les résultats scolaires de la plupart des victimes se dégradent, ce qui peut les conduire à l’abandon de l’école, comme cela a été le cas pour deux jeunes élèves originaires de la ville de Kairouan.
Quelles sont les initiatives prises par la Tunisie pour combattre le harcèlement scolaire ?
Il est crucial de mettre en avant les efforts déployés par l’État pour lutter contre le harcèlement à l’école. En partenariat avec l’UNICEF, le Ministère de la Famille, de la Femme, de l’Enfance et des Séniors a établi un numéro vert (le 1809) visant à écouter et à soutenir les personnes vulnérables, en particulier les enfants. De plus, en mars 2023, ils ont lancé une campagne de sensibilisation intitulée “Grandira mais n’oubliera pas”, avec pour objectif de lutter contre la violence envers les enfants.
Il est également pertinent de noter l’inclusion de chapitres portant sur la question du harcèlement dans le programme d’anglais des lycéens.
Ces initiatives sont incontestablement importantes et doivent être maintenues. Cependant, il serait judicieux d’accorder une attention accrue à ce problème en mettant en place davantage de mesures, en organisant des campagnes nationales de sensibilisation structurées et continues, et en éduquant les enfants dès leur plus jeune âge sur cette question. Ainsi, ils pourront grandir en intégrant des valeurs de tolérance, d’acceptation et de paix. Ces jeunes étudiants représentent l’avenir de notre nation, et pour que la Tunisie prospère, nous devons commencer par investir dans sa jeunesse.